12ème Dimanche du Temps Ordinaire (A)
21 juin 2020
- Frère Marie-Jean BONNET
Introduction : « Soyez sans crainte » nous dit Jésus, dans la liturgie de ce jour. Dans notre monde traversé de tant de peurs, d’angoisse, il nous est bon de nous laisser interpeller par cette parole de Jésus.
« Puissance et gloire de l’Esprit : heureux les vrais martyrs ! » Oui, notre monde est traversé de bien de violences, et notamment de violences envers les chrétiens persécutés dans tant de pays, en Asie Mineure ou Extrême-Orient spécialement, en Afrique aussi. Heureux les vrais martyrs, pourtant, nous dit Jésus. Heureux les témoins de la vérité, de l’amour qui sont fidèles jusqu’au bout. Eh bien, c’est la force de l’Esprit qui est à l’œuvre en eux.
Demandons justement nous aussi de nous ouvrir à cette puissance, à cette force de l’Esprit-Saint qui nous transforme, qui nous rend capable de porter l’espérance, de la vivre et de l’offrir.
Entrons dans cette Eucharistie en demandant le pardon de tous nos manques de foi, de toutes nos peurs qui sont le fruit d’un manque de foi et d’espérance. Demandons la miséricorde du Seigneur.
Portons dans notre prière spécialement Léon qui va recevoir le Christ pour la première fois.
Homélie : « Ne craignez pas les hommes… Ne craignez pas ceux qui tuent le corps… Soyez donc sans crainte ». Cette insistance de Jésus nous rappelle un certain « N’ayez pas peur », au moins pour ceux qui l’ont connu parce qu’il y a beaucoup de jeunesse aujourd’hui qui n’ont pas connu, ce grand Saint Jean-Paul II qui en avait fait son leitmotiv : « N’ayez pas peur », Dieu sait si ça nous a fait du bien qu’il nous le martèle ce « N’ayez pas peur » à une époque où il y avait des raisons humaines d’avoir peur, bien sûr, et il y en a tant aujourd’hui.
Justement ces derniers mois on a parlé souvent d’un climat « anxiogène » pour diverses raisons, bien sûr, climat qui est toujours latent. Alors laissons-nous interpeller par cet appel pressant du Christ qui est pour nous aujourd’hui. Alors précisons tout de suite que, quand le Christ dit ; « N’ayez pas peur », il ne s’agit pas justement de nos peurs spontanées, psychologiques, légitimes. Le Christ devant sa Passion a eu peur, il a été dans la tristesse, dans la peur qui est une réaction, je dirai psychologique, normale, devant un mal, devant un mal qui est imminent ou qui menace.
De même quand le Christ nous dit : « Ne jugez pas », il ne s’agit pas de ne pas dire que tel acte est bon ou mauvais, il s’agit de ne pas juger les personnes, la responsabilité des personnes. Eh bien, ici, quand le Christ dit : « Ne craignez pas », il ne fustige pas nos réactions spontanées, humaines, psychologiques, mais il nous invite à les dépasser par justement cette vie surnaturelle qu’il nous offre. Et c’est bien ce qu’il a fait, lui, dans sa Passion, première réaction humaine, psychologique : « Père, s’il est possible que cette coupe passe loin de moi », Jésus a eu peur pour toutes sortes de raisons, bien sûr, mais sa confiance en son Père du ciel prend le dessus : Cependant, Père, je m’en remets à toi, j’ai confiance en toi, non pas ce que je veux, ce que ma volonté humaine veut spontanément ou craint mais ce que toi tu veux. (cf Luc 22,42). Eh bien, c’est cela ce que le Seigneur nous invite à vivre dans ces deux motifs spontanés de peur qui nous habite :
« Ne craignez pas les hommes » d’abord, commence par dire Jésus à ses apôtres. Oui, certes ils avaient des raisons naturelles, bien compréhensibles d’être inquiets puisque Jésus ne leur a pas fait miroiter la réussite dans la mission, il allait les envoyer en mission et au contraire, tout au contraire, il leur dit, ce n’est quand même très bon au niveau communication : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ». Il y a de quoi décourager les meilleurs. « Prenez garde aux hommes, ils vous livreront aux tribunaux, vous flagelleront dans leur synagogue » etc… (Matthieu 10,16-17). Moi, je me demande comment les apôtres ont fait pour partir quand même avec le tableau qu’il leur donnait. Eh bien, justement il leur a communiqué aussi, eh bien, une force spirituelle, surnaturelle, en les envoyant en mission. Il ne les laissait pas seuls, à leurs seules forces.
Oui, ce qui attend les apôtres est, en fait, la condition habituelle des prophètes d’hier et d’aujourd’hui, la condition de ceux qui rendent témoignage à la Parole de Dieu, car la Parole de Dieu appelle sans cesse à la conversion et ça, ça dérange, ça dérange le monde, ça dérange l’esprit du monde que Dieu nous remette en question, nous dise, « Tu ne prends pas un bon chemin, re-choisis la vie, fais-moi confiance ».
Les paroles de Jérémie et celle du psalmiste se font l’écho de cette condition du prophète qui est la nôtre, si nous voulons être disciples de Jésus. Nous avons cette mission de porter la Parole de Dieu aux hommes d’aujourd’hui.
« Ne craignez pas les hommes », autrement dit, ne craignez pas le regard des autres, leur jugement, leur dérision, car dit Jésus : « Tout ce qui est voilé sera dévoilé, tout ce qui est caché sera connu ». Autrement dit, la vérité a toujours le dernier mot. C’est ce qui habitait le cœur de notre Pape Jean-Paul II, quand il nous disait : « N’ayez pas peur », il savait face à ces monstres idéologiques du nazisme et du communisme, il savait que la vérité aurait le dernier mot et ce fut le cas même si, hélas, ces totalitarismes ne sont pas morts encore, mais c’est le Christ qui aura toujours le dernier mot. La vérité est plus forte que le mensonge, les idéologies et les dictatures s’écroulent, je le dis souvent mais il faut se le rappeler, les idéologies les plus tapageuses, et les dictatures les plus monstrueuses s’écroulent les unes après les autres, elles n’ont qu’un temps, le Christ demeure pour l’éternité, il est la vérité éternelle, que rien ne pourra détruire, il est la lumière, que rien ne pourra arrêter de briller. Première peur.
Deuxième peur : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps ». Le Christ va encore plus loin. N’ayez pas peur des paroles, des jugements des hommes, de leur dérision, tout cela, la vérité triomphera. Mais n’ayez même pas peur de « ceux qui tuent le corps, craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. »
« Grave et lumineux principe de discernement entre les bonnes et les mauvaises peurs » écrit le Père Sève, André Sève, « Une seule chose finalement est à craindre, qu’on nous arrache au Christ, qu’on nous arrache à la vie éternelle avec Dieu ».
Saint Paul nous donne l’exemple parfait de l’homme libéré de toute peur, Jésus vient nous libérer de toutes peurs, peur du regard des autres, de leur jugement, mais peur même de la mort physique, Jésus nous en libère. C’est vrai qu’on peut se demander justement si ce n’est pas cette perte du sens de notre vie, de notre direction, et surtout de notre vocation à une vie éternelle déjà commencée, la perte de cette vision-là qui a contribué à une panique parfois déraisonnable face à cette pandémie qui de fait est gravissime, mais quand même certaines réactions de panique qui faisaient oublier que, enfin, oui, la vie d’ici-bas n’est pas éternelle. La vie éternelle est commencée ici-bas mais nous sommes faits pour autre chose.
« Qui nous séparera de l’amour du Christ ? écrit Saint Paul, la tribulation ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? la nudité ? le péril ? le glaive ? », la pandémie ? « en tout cela nous sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés » (Romains 8, 35, 37). Voilà un homme libre parce qu’habité par le Christ. Le Christ nous libère de toute peur, de toute peur déraisonnable.
Il y a une peur qui est raisonnable : une seule crainte doit demeurer en nous, dit Jésus, « la crainte de celui qui peut faire périr dans le feu éternel aussi bien l’âme que le corps ». Crainte qui se traduit par non de la terreur, parce que celui dont parle Jésus est une créature, et non pas divin, mais qui se traduit par de la lucidité, de la vigilance, face à celui que Jésus appelle « Le menteur », « L’homicide », « Le démon », qui dans sa ruse nous pousse à distendre notre lien, notre attachement au Christ et à son Église, -c’est tout un-, et nous conduit peu à peu dans la mort spirituelle, insensiblement, c’est sa tactique pour endormir notre conscience, peu à peu : ce n’est pas la peine d’aller à la messe tous les dimanches, ce n’est pas la peine de se confesser si souvent, tu ne vas quand même pas être bigot, non, voilà sa tactique. Peu à peu, insensiblement il nous éloigne du Christ et de son Église, il nous conduit à la rupture, finalement par le péché grave, la rupture avec celui qui est la vérité et la vie éternelle.
Oui, je pense que nous avons à nous remettre devant les yeux que notre vie ici-bas, précieuse, certes précieuse, c’est pourquoi l’Église à la suite de son Seigneur défend toute vie de son commencement à sa fin naturelle. Toute vie est précieuse, bien sûr, elle est cadeau de Dieu, elle est image de Dieu, la vie ici-bas est précieuse mais elle n’est qu’une gestation à la vie en plénitude éternelle. C’est quand même ce qu’il ne faut pas perdre de vue, sinon on tombe dans la panique pour défendre sa vie ici-bas à n’importe quel prix ? Non, il y a quelque chose de plus précieux que la vie ici-bas, c’est la vie éternelle que le Christ nous a donnée au baptême et qui se déploiera pleinement dans l’au-delà avec lui.
Mais le motif le plus profond et le plus fort par lequel Jésus veut nous libérer de toute crainte est de nous rappeler que notre vie, chacun de nous est dans la main du Père des cieux comme si nous étions son unique souci, car chacun de nous est unique à ses yeux et infiniment précieux, nous a martelé cette vérité qui est dans la bible : « Tu as du prix à mes yeux » (Isaïe 43,4), le Seigneur le dit à chacun, chacune de nous. « Pas un cheveu ne tombe sans la permission du Père des cieux » (Matthieu 10,30), nous dit Jésus. Et le Père Sonet de dire avec son humour habituel, « Et les chauves pourront vous dire combien ça suppose de permissions données ». Et aussi : « Vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux » ce qu’il traduit par : « Vous valez quand même plus qu’un poussin ou qu’un loulou de Poméranie », voilà.
Peut-être, faut-il me demander aujourd’hui pour la Fête des pères, -Bonne Fête à chaque papa-, peut-être faut-il me demander aujourd’hui, me demander si je crois vraiment que notre Père du ciel est le meilleur des Pères. « Ya pas photo », comme on dit aujourd’hui, entre les pères de la terre et le Père du ciel, et Dieu sait s’il y a de bons papas, et la plupart sont bons, je pense, fondamentalement. Hélas, il y en a quelques-uns qui sont capables de choses terribles envers leurs enfants, mais enfin la plupart… Mais Jésus lui-même dit : « Vous qui êtes mauvais » (Matthieu7,11), donc je me cache derrière cette parole pour dire, bon, ya pas photo entre notre Père du ciel et les meilleurs pères de la terre. Est-ce qu’on y croit à ça ? Est-ce qu’on y croit vraiment ? Alors, notre Père du ciel est le meilleur des pères, oui, sans comparaison possible, il me fait du bien sans cesse, je suis dans sa main. Il me donne la vie sans cesse, il ne peut jamais m’abandonner. Et pourtant, tant de fois on entend, vous entendez comme j’entends : « Mais qu’est-ce qu’il fait le Bon Dieu ? Je m’abandonne, et puis je prie et puis rien ne se passe et … voilà ». On n’a pas confiance en Dieu, on n’a pas la foi. Quels que soient les résultats, demandons la foi à notre Père du ciel, est-ce qu’il nous aime ? Oui ou non, est-ce qu’on y croit ? Oui ou non dans le concret, dans le concret.
Et le signe, et j’en viens à l’Eucharistie, bien sûr, notamment pour Léon qui est au milieu de nous, qui a ce grand bonheur d’être visité par Jésus-Eucharistie pour la première fois. Le signe justement manifeste, perpétuel, de l’amour fidèle et extrême, et agissant de notre Père du ciel, c’est bien le don perpétué de son Fils dans l’Eucharistie. En nous donnant son Fils, il nous a tout donné, écrit l’un des apôtres, je ne sais plus lequel. Jésus-Eucharistie, c’est bien le témoignage suprême d’un Dieu toujours avec nous et pour nous, d’un Dieu qui se livre pour nous, pour nous vivifier et nous fortifier.
Oui, face à ces peurs légitimes qui naissent dans nos cœurs, Jésus-Eucharistie c’est la guérison, c’est le remède à nos peurs : Je suis avec toi, je viens te guérir, je viens te libérer, je viens te fortifier, je suis toujours avec toi.
Mais la confiance est à choisir, est à demander. Et j’aime ce chant que je vous remets dans les oreilles, dans la mémoire, qui me dit cela ; la confiance, nous en manquons tous, nous manquons de foi, ce que Jésus disait aux apôtres, il pourrait nous le dire cent fois plus ; « Homme de peu de foi ». Il faut la demander la foi, il faut la demander cette confiance filiale, vivre dans la confiance filiale.
« Trouver dans ma vie ta présence », reconnaître la présence de Dieu dans les petites choses, oui c’est une grâce.
« Tenir une lampe allumée » celle de la foi et de l’espérance.
« Choisir avec toi la confiance », choisir, oui, la re-choisir, la confiance.
« Aimer et se savoir aimé ». Amen.