26ème Dimanche du Temps Ordinaire C 2022
25 septembre 2022
- Frère Jean François CROIZÉ
INTRODUCTION : Qu’il soit béni Dieu notre Père en Jésus son fils de nous avoir donné son Esprit Saint pour nous faire entrer dans cette grande Miséricorde de Dieu qui manifeste ainsi sa puissance, c’est la façon dont nous définit la prière d’ouverture, la collecte. Dieu qui prend patience et qui fait Miséricorde révèle ainsi sa toute-puissance.
Aujourd’hui, l’Église prie particulièrement pour toutes les personnes déplacées, sous l’effet de la violence, de la guerre et autre, ce qu’on appelle l’immigration aussi. Eh bien, prions le Seigneur de toucher le cœur des grands de ce monde pour s’ouvrir à cette dimension que Dieu attend de chacun, celle de la grande charité qui nous fait passer dans nos actes cet amour de Dieu pour le prochain aussi.
HOMÉLIE : Chers frères et sœurs, nous avons entendu, dans la première lecture, le prophète Amos, dans la deuxième lecture Saint Paul, et puis la parabole de Jésus.
Et qu’est-ce qui est en jeu dans cette parabole de Dieu à travers ces trois lectures ? Le salut, je pense que c’est ça. Amos dénonce le péché social de l’indifférence d’une société fracturée, la parabole de l’Évangile le péché personnel de l’omission, de l’aveuglement. Et Saint Paul lorsqu’il s’adresse à Timothée, il emploie cette belle expression « homme de Dieu ». Chacun de nous, nous sommes appelés à cela, « homme de Dieu », parce que nous avons reçu le Baptême. Un chrétien est un homme de Dieu ! et nous avons à dire simplement qui nous sommes, des enfants de Dieu, et ce à quoi nous sommes appelés : à la vie éternelle, appelés à témoigner de notre foi en la résurrection, et à vivre selon le commandement du Seigneur, dans la foi, l’espérance et la charité.
Le commandement du Seigneur, c’est bien sûr l’amour du Père et l’amour de nos frères, ce que la parabole de ce jour illumine d’une lumière un peu précise. Remarquons que peu de temps auparavant dans l’Évangile de Saint Luc, il y a tout un discours du Christ au sujet de l’argent où le Seigneur nous demande de ne pas nous attacher à cet argent trompeur, et qu’on ne peut pas servir deux maîtres, et qu’il faut choisir. Et comme les pharisiens s’étaient moqués de Lui, le Seigneur leur donne la parabole que nous avons entendue. Ne rentrons pas dans une guerre de clichés, la pointe n’est pas dans des oppositions, mais en ce qui manque dans le regard du riche.
La parabole met en lumière « Un homme » et « Un pauvre ». L’homme est riche, il n’a pas de nom. Le pauvre est misérable, mais on publie son nom : « Lazare ». L’homme dans son luxe ne comprend pas, dit le psaume 49ème (49, 21). Le pauvre, plein de sens, va au fond des choses, répond le Livre des Proverbes (28, 11). Celui-là est aussi anonyme que l’argent, sans caractère, celui-ci s’appelle Lazare, (El Léazar), ce qui signifie : « Dieu le secourt ». Si le premier ne compte que sur lui, le second ne s’appuie que sur Dieu. Pour l’heure l’un rit, l’autre gémit. « Heureux vous qui pleurez maintenant car rirez ». (Luc 6 , 21) « Malheureux êtes-vous qui riez maintenant car vous connaitrez le deuil et les larmes », (6, 25), nous dit les Béatitudes en Saint Luc.
Au bout du compte, en effet, tous deux vont mourir. C’est le sort commun de chacun. Celui qui gisait monte ! Celui qui jouissait descend ! Pauvre Lazare. Pour Lazare, le cortège des Anges jusqu’au plus intime des cieux. Pour le riche, on nous dit trois mots, trois mots terribles : « on l’enterra ». Là-haut : « les pauvres mangeront, ils seront rassasiés ». En bas : « troupeau que l’on parque aux enfers, la mort les mène paître », nous dit encore un psaume, c’est le psaume 49ème (v. 15). « Dans le pauvre, c’est l’humilité qui est glorifiée et dans ce riche l’orgueil qui est châtié ! », nous dit Saint Augustin.
Entre eux s’est fixé « un grand abîme ». Il faut remarquer que cet abîme, le mauvais riche l’avait déjà mis sur terre. Oui, entre eux s’est fixé « un grand abîme nous », dit le Christ, et Abraham lui-même déclare devant le trône de Dieu : l’abîme entre le Ciel et l’enfer est infranchissable. Il aurait pu être franchi sur terre.
Cette parabole nous dit quel risque mortel peut faire courir une richesse non partagée qui se referme sur elle-même, et quelle joyeuse espérance doit animer une vraie pauvreté.
Et en quoi cet « homme riche » est-il en grand danger ?
Eh bien, vis-à-vis de lui-même, il est repu, il est triste.
Vis-à-vis des autres, c’est un insensible qui donne cet aveuglement et des yeux et du cœur.
Vis-à-vis de Dieu, il est muet et sourd. En fait, il l’ignore et ne veut pas entendre, c’est ce que ce riche en enfer voudra sauver ses frères, et Dieu a répondu que s’il n’écoute pas, ceux qui t’ont envoyé n’écouteront pas non plus ceux qui sont près d’eux.
Cependant, le Christ l’aime tout autant qu’un autre. Il est venu pour que les aveugles voient, que les sourds entendent. C’est sa mission, et Il lui crie, c’est dans cette parabole : « Malheur à vous les riches, -si vous vous enfermez sur vos richesses-, car vous avez votre consolation » (Luc 6, 24).
Ce ne sont pas là des cris de haine, mais des appels au réveil, des appels, non pas à la révolution, mais à la conversion. D’ailleurs, Simone Veil, philosophe, a écrit que : « Les faux dieux changent la souffrance en violence. Le vrai Dieu, par sa croix, change la violence en souffrance offerte et salutaire ». Donc, c’est un appel au retournement des cœurs. Fermer ses yeux sur l’Écriture, Parole de Dieu, c’est fermer son cœur sur le pauvre. Ainsi meurt, avec la foi, l’amour, et avec l’amour, l’espérance. Il ne reste que la Miséricorde de Dieu, « car rien n’est impossible à Dieu ».
Que nous rappelle la parabole ? Que disent les Écritures, la Loi et les prophètes ?
« Partage ton pain avec l’affamé, héberge le pauvre sans abri, revêts celui que tu vois sans vêtements, et ne te dérobe pas à ton prochain. Heureux qui pense au pauvre et au faible, au jour du malheur, le Seigneur délivre », nous dit le psaume (41, 2). C’est ainsi que s’ouvre un chemin, le chemin du Ciel, et avec la parabole du mauvais riche, un triste chemin est possible, l’enfer. C’est le sujet dont on n’aimerait ne rien dire. L’existence de l’enfer est cependant un point de foi, et le Christ en a trop souvent parlé pour qu’on se voile la face devant la réalité.
Il faut croire qu’une aussi épouvantable décision humaine est possible, puisque l’Évangile nous alerte sur ce danger. Le malheureux mauvais riche fait l’expérience de l’enfer parce que déjà, en s’enfermant dans ses jouissances, il mettait Dieu à la porte ; il chassait Dieu de son jardin d’Eden, ainsi le décrit le prophète Amos. L’enfer, c’est l’amour refusé, rejeté, ignoré. Dieu souffre-t-il de ce refus d’amour ? Ce que nous appelons souffrance est peut-être en Dieu de continuer à aimer celui qui refuse l’amour. L’échec de l’amour serait de cesser d’aimer. L’enfer ne met pas en échec l’amour, car Dieu continue à aimer, c’est le damné qui se met en état d’échec de son être et de sa vie, parce qu’il refuse l’amour de Dieu et du prochain.
On peut voir ainsi que la richesse peut entrainer à l’incrédulité et à l’inhumanité, mais un peu plus loin dans l’Évangile, car il ne faut pas isoler ce que nous entendons, il y aura le récit de la rencontre de Jésus et de Zachée, qui lui aussi était fort riche, mais qui avait un désir en lui-même, un désir qui va s’ouvrir, parce qu’il a entendu Jésus, et il va voir ses frères, et partager ses biens.
La Croix de Jésus nous crie de faire attention à l’Amour qui est sur nous, et qui nous ouvre le chemin et qui nous élève, accompagnés des Anges, dans le cœur du Père. Nous qui sommes riches de notre foi, de notre joie, de notre amour, de nos avoirs peut-être, de nos savoirs, devant la croix de Jésus et dans la claire lumière de l’Évangile, posons-nous simplement trois questions :
1- Nos richesses, qu’elles soient intellectuelles, matérielles ou autres, restent-elles pour nous un moyen, sans devenir une fin en soi ?
2- Servent-elles à l’accueil et au partage et non à un égoïste cumul ?
3- Sont-elles pour nous cause de joie, de paix, et non de tristesse, de soucis dont nos visages seraient le reflet ?
Le pauvre de Dieu est celui qui ne s’agrippe à rien, disponible à la Grâce et au prochain, abandonné à Dieu. Saint François disait à un jeune frère : « A l’heure de l’épreuve, dans la tentation, ou la détresse, c’est la Passion du Seigneur Jésus Christ qui peut nous venir en aide. A présent, dit-il, je sais Jésus pauvre et crucifié. Et cela me suffit ».
Avoir le Christ pour seule richesse : « Lui qui, de riche qu’Il était, s’est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir de sa pauvreté ». (2 Cor 8, 9).
Au fond, Lazare, qui est-il ? N’est-ce pas Jésus qui est descendu jusqu’au seuil de notre porte ? Nous ne Lui avons pas ouvert. Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu. (Jean 1, 11). Nous l’avons laissé mourir près des remparts et nul n’est venu soigner ses plaies, nous dit le Livre des Lamentations. « Des chiens nombreux me cernent. Une bande de vauriens m’assaille. Ils me percent les mains et les pieds et me couchent dans la poussière de la mort ». (Psaume 22). Plus dépouillé qu’un misérable, il a agonisé en criant : « J’ai soif ».
Mais celui que Dieu secourt (El Léazar), qui a crié lui-même un jour : « Lazare sort », s’est relevé d’entre les morts, couronné de gloire et d’honneur au-dessus des Anges.
Voilà la parabole de la justice et de la Miséricorde. Sommes-nous prêts, nous-mêmes, à accueillir la Parole de Dieu, par son Église, à nous convertir sans attendre de voir les morts ressusciter ?
« Tes paroles, Seigneur, sont esprit et vie ! » En cette Eucharistie, comme Marie, dans son Magnificat, qui accueillait, méditait la Parole de Dieu dans son cœur, son cœur d’enfant du Père, rendons grâce au Seigneur de sa Miséricorde. Ainsi-soit-il.