30e Dimanche du Temps Ordinaire (A) 2023

29 octobre 2023

  • Frère Philippe-Marie VAGANAY Frère Philippe-Marie VAGANAY

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Nous avons parmi les concélébrants le Père Vianney Bouyer qui vient de terminer sa semaine de retraite, qui va repartir dans ses paroisses. Nous pouvons, durant cette messe, porter son ministère dans notre prière.

« Dieu nous convoque à l’unité, prenons le chemin qu’il nous ouvre. » Combien cette injonction est pressante aujourd’hui ! Combien nous avons besoin d’unité dans notre monde qui se déchire ! Mais, il ne faut pas oublier que les divisions entre nous, entre pays, etc., commencent toujours par une division dans le cœur, et c’est d’abord en nous-mêmes que cette unité est à faire, à refaire, à reprendre toujours.

« Unifie mon cœur pour qu’il te craigne », nous dit un psaume. Demandons cette grâce au Seigneur pour nous-mêmes et pour notre monde. Et préparons-nous à célébrer le mystère de l’Eucharistie dans cet esprit en reconnaissant que nous avons péché.

 

Homélie :

Jésus est à Jérusalem. Il est proche de sa passion et l’étau se referme sur lui. Les deux mâchoires de l’étau sont les exclusives, dans lesquelles on veut l’enfermer. Dimanche dernier, c’était les Pharisiens qui s’étaient accordés avec les Hérodiens au sujet de l’impôt. Faut-il payer l’impôt ou faire la grève de l’impôt ? Puis ce sont les Sadducéens qui sont montés au créneau au sujet de la résurrection, eux qui ne croient pas en la résurrection. Est-elle compatible avec l’état du mariage ?

Aujourd’hui, l’offensive continue. Les Pharisiens reprennent la balle au bond, se réunissent entre eux pour tendre un nouveau piège à Jésus, à travers la question de savoir quel est le grand commandement de la Loi, de la Torah. Nous retrouvons nos problématiques modernes : Dieu ou l’homme ? La mystique ou le politique ? L’humanisme social ou un spiritualisme désincarné ?

L’histoire de l’Église montre que les hérésies ont, la plupart du temps, consisté à mettre des « ou », là où Dieu met des « et ». Ainsi, Jésus est-il Dieu ou homme ? Pour le salut faut-il la liberté ou la grâce ? Faut-il s’appuyer sur la Parole de Dieu seule ou sur les sacrements ? Dieu a une largeur de vue beaucoup plus étendue que la nôtre. Et ce qui nous semble incompatible est compatible sous son regard.

Ainsi les rabbins ont dégagé 613 préceptes de la Torah, 365 actes à ne pas faire et 248 à faire. Mais dans cette foule de préceptes, le risque est de se focaliser sur ce qu’on doit faire ou ne pas faire, et ne plus se focaliser sur Dieu. On filtre le moucheron, et on laisse passer le chameau comme l’a dit précédemment Jésus.

Cette question des rabbins et des Pharisiens face à Jésus est en définitive la question sur l’essentiel. Qu’est-ce ce qui est essentiel dans ma vie ? Cette question se pose aujourd’hui encore, qui vivons justement dans une culture du relativisme. Quand toute certitude est remise en doute, quand tout s’efface, quand tout se délite, y compris au plan sociétal, que reste-t-il de ferme ? A quoi se raccrocher ?

Eh bien Jésus affirme quel est l’essentiel, ce qu’il ne faut jamais lâcher : « tu aimeras ». Toute la vie et toute l’œuvre de Jésus se résume de fait en ces deux mots : « tu aimeras ». Il nous dit là le secret de sa vie. Et nous voyons comment, dans toute sa vie, ces deux mots se sont concrétisés.

Et nous pouvons nous poser la question : En cette semaine que je viens de vivre, comment ces deux mots, « tu aimeras », se sont-ils concrétisés ? Nous pourrons peut-être dire, j’ai aidé telle personne, je me suis rendu au chevet de tel malade, j’ai téléphoné ou envoyé un texto à untel dont je n’avais plus de nouvelles, j’ai rendu tel service, j’ai eu telle délicatesse pour mon conjoint, etc. Mais Jésus risque de nous demander : « Et Dieu dans tout ça ? » En effet, Dieu risque d’être le grand oublié ou de passer après.

Quand on pose la question du grand commandement à Jésus, sa réponse jaillit, immédiate : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. » J’aime ce « ton », « ton Dieu ». L’adjectif possessif « ton » exprime un amour de préférence, il qualifie celui que je chéris. Dieu est-il pour moi Dieu, où « mon » Dieu ? Pour Jésus, Dieu est vraiment son Père, son Dieu, son cœur est sans cesse tourné vers lui, uni à lui dans une intimité d’amour. Il s’éloigne des foules pour retrouver son Père dans le seul-à-seul de la prière. Il passe même des nuits entières à prier.

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit. » Quelle force d’expression donne le mot « tout », répété trois fois ! Cela pour dire que Dieu mérite d’être aimé avec la totalité de notre être, je dirais du fond de nos entrailles. Est-ce bien ainsi que j’aime Dieu, ou bien est-ce avec seulement une petite partie de ma vie, de mon temps ?

Et voilà que Jésus ajoute au grand commandement un autre et qui, lui aussi, est semblablement grand et également tiré de la Torah : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Vous voyez, Jésus n’est pas dans le « ou-ou », mais dans le « et-et », Dieu « et » le prochain. Il serait tellement pratique de se dispenser de l’un des deux, en disant : il suffit d’aimer Dieu, ou bien il suffit d’aimer le prochain.

Et Jésus unira pour toujours ces deux dimensions de l’amour, au Golgotha, sur la croix. La poutre verticale s’élèvera vers le Ciel et fera de Jésus et de sa croix un signe dressé. L’autre, horizontale, lui fera embrasser toute l’humanité. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Jésus avait déjà dit précédemment : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est là la loi et les prophètes. »

Ce « comme toi-même » nous ramène à notre vécu, à notre histoire, à notre mémoire. Ce que j’ai vécu doit m’amener à être plus attentif aux besoins du prochain. D’où les préceptes que nous avons entendus dans la première lecture : « Tu n’exploiteras pas l’émigré, car vous étiez vous-mêmes des émigrés au pays d’Égypte. Rappelez-vous ! » Autrement dit nous avons un devoir d’humanité, et c’est un devoir de justice cela.

De ces deux commandements dépend toute la Loi ainsi que les prophètes. La Loi, la Torah, c’est l’expression du cœur de Dieu. Et les prophètes n’ont cessé de rappeler la Torah : revenir à Dieu et ne pas exploiter son prochain.

Le cœur de Dieu est un cœur plein d’amour. « Dieu est amour, dira Saint Jean, il nous veut semblable à lui. »  « Celui qui aime a parfaitement accompli la Loi », dira Saint Paul. Et Jésus nous montrera ce qu’est aimer et jusqu’où aimer.  C’est en le contemplant lui, Jésus, en vivant dans un cœur à cœur avec lui que nous apprendrons peu à peu de lui à aimer, comme il nous a aimés.

Profitons justement de cette messe et de cette partie de la liturgie eucharistique dans laquelle nous entrons, où nous faisons mémoire justement des mystères de la Passion, de la mort et de la résurrection de Jésus. Contemplons-le pour apprendre de lui à aimer.

AMEN