BAPTÊME DU SEIGNEUR 2022 (C)

9 janvier 2022

  • Frère Marie-Jean BONNET Frère Marie-Jean BONNET

Mot d’accueil : Merci, Seigneur, les cieux se sont ouverts ce matin pour célébrer dans la lumière cette belle fête du Baptême du Seigneur qui, tout naturellement, bien sûr, nous invite à faire mémoire de notre baptême, et nous allons le faire par le rite de l’aspersion, puisque nous sommes quand même pas mal privés d’eau bénite ces temps-ci, depuis deux ans, alors aujourd’hui on va mettre la dose, et on va vivre ce rite de l’aspersion dans l’action de grâce, oui, pour la grâce immense, infinie, du baptême. 

Homélie : En écoutant les deux premières lectures de ce jour, nous avons peut-être l’impression de revenir, en quelque sorte en arrière dans le temps liturgique.
Et de fait, ce texte d’Isaïe que nous venons d’entendre est lu le 2e dimanche de l’Avent pour les années B. Il annonce la venue du Seigneur et son œuvre de Salut.
Et la lettre de Saint Paul à Tite que nous venons d’entendre est entendue également dans la liturgie de Noël, la nuit, et à la messe de l’aurore.
C’est que le Baptême du Seigneur est un événement charnière, une porte, où Jésus assume toute l’attente de son peuple, symbolisée par le temps de l’Avent, toute l’attente de son peuple, toute l’attente de la 1ère Alliance, et je dirais même toute l’attente de l’humanité. Il rend manifeste aussi la réalisation, l’avènement effectivement de la Nouvelle Alliance, de la Nouvelle Création, en Lui, chef de l’humanité nouvelle.
Il y a un seuil entre les temps de l’attente, que clôture le précurseur, et les temps nouveaux, que Jésus inaugure par sa vie publique, et en premier lieu par son Baptême.
La voix du Père concerne en effet non seulement Jésus mais toute l’humanité nouvelle qui va naître de lui, de Jésus, dans le Père, le Fils et l’Esprit.
Voilà pourquoi Saint Luc fait suivre ce récit du baptême dans son évangile, de la généalogie de Jésus et qu’il fait remonter jusqu’à Adam pour bien manifester que tout homme est concerné par cet engendrement d’une humanité nouvelle à la vie de Dieu.
L’évangéliste Saint Luc de dire d’ailleurs, que « tout le peuple se faisait baptiser ». C’est une manière de parler parce que l’on sait que les pharisiens, par exemple, malheureusement ne sont pas entrés dans cette démarche. Toujours est-il que Saint Luc veut sans doute nous dire justement que le baptême de Jésus s’inscrit dans une attente, un appel universel.
Jésus vient rejoindre cette foule d’une humanité, de toute l’humanité, d’une humanité repentante qui cherche à se relever et à retrouver l’alliance avec Dieu, perdue par le péché. Attitude d’un Messie doux et humble, envoyé non pour juger le monde mais pour lui apporter la consolation du Salut, la délivrance qu’Isaïe annonçait dans ces lignes que nous avons entendues : « Consolez, mon peuple, dit votre Dieu… proclamez que son crime est pardonné ». Oui, Jésus, dans cette démarche pénitentielle, fait une démarche pénitentielle, il assume tous les péchés du monde en se mettant au rang des pécheurs – j’y reviendrai.
Puis Jésus se plonge dans la prière aussi. Beaucoup de représentations du Baptême du Christ, on le voit les pieds dans l’eau avec éventuellement des poissons à ses pieds, et puis la colombe qui plane. Et en fait, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça, si on regarde de près les évangiles, à commencer par Saint Luc, justement, qui est le plus précis. C’est quand Jésus est sorti de l’eau, qu’il se met en prière et c’est là que l’Esprit se manifeste ainsi que le Père.
Oui, Jésus se plonge dans la prière, dans l’intimité. Il y a d’abord la démarche pénitentielle de Jésus, ensuite sa prière, et à ce moment-là la théophanie. Jésus se plonge dans la prière, dans l’intimité avec le Père, comme il le fera bien souvent, je dirais sans cesse en fait. On a quelques éclaircies, quelques flashs sur cette intimité permanente du Fils avec le Père, mais c’est vrai que cette prière se fait sans doute plus intense aux heures capitales de la vie de Jésus, comme nous le relatent effectivement les évangélistes.
Oui, c’est alors seulement quand Jésus dans cette intensité de prière qu’a lieu la théophanie, la manifestation de l’Esprit Saint et du Père qui, comme une explicitation sensible de cette intimité et de cette communion indivisible entre le Père et le Fils, dans l’Esprit Saint. « Le ciel s’ouvrit » précise Saint Luc, c’est la réponse à l’attente d’Israël exprimée par le prophète Isaïe que nous avons aussi sans doute entendue au temps de l’Avent : « Ah si tu déchirais les cieux, si tu descendais ».
Eh bien, le Seigneur, qui a inspiré d’ailleurs cette prière, cette parole, du prophète, a réalisé ce qu’il a mis au cœur, ce désir qu’il avait mis au cœur de son peuple. Oui, le ciel s’ouvre pour laisser l’Esprit de Dieu descendre sur le Fils de l’homme, prémice de l’humanité nouvelle sur laquelle il sera répandu avec la Pentecôte.
Certes, depuis le premier instant de sa conception dans le sein de Marie, Jésus sera toujours rempli d’Esprit Saint et conduit par cet Esprit, on va l’entendre aussi au seuil du Carême. Jésus est toujours sous la conduite de l’Esprit, bien sûr (Luc 4, 1,14). Justement parce qu’il est ce Fils, pleinement Fils, totalement Fils, rien que Fils. Et donc, il n’a qu’un désir, c’est d’être docile à cet Esprit qui fait la communion entre le Père et le Fils.
Mais cette théophanie trinitaire est comme l’annonce de la Pentecôte du Christ total, de son Église, qui aura lieu, elle, après le baptême de sang, le baptême de la croix, annoncé lui aussi par cette descente dans les eaux du Jourdain.
« C’est toi mon Fils bien-aimé, en toi je trouve toute ma joie », selon la nouvelle traduction, que je n’avais pas sous les yeux, mais qui est merveilleuse. Oui, cette parole d’amour : « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi je trouve toute ma joie », quel bonheur du Père ! Habituellement, nous avons effectivement des éclaircies sur la prière de Jésus à son Père, du Fils à son Père, et elles sont magnifiques, bien sûr. Souvent, justement, c’est une exultation, parfois aussi une supplication, bien sûr, du Fils qui s’en remet à la tendresse de son père, à la sagesse de son père.
Ici, avec la Transfiguration, c’est le seul lieu où nous entendons le Père s’adresser au Fils. Nous entrons dans cette intimité trinitaire, c’est extraordinaire ! Oui, « C’est toi mon Fils bien-aimé, en toi je trouve toute ma joie ». Cette parole d’amour que le Père dit au Fils de toute éternité et qu’il rend manifeste au baptême du Christ, il la redit également sans cesse, aujourd’hui, à chacun de nous, à tout homme qui par la grâce baptismale est devenu pleinement son enfant.
« Par le bain du baptême, Dieu nous a fait renaître, comme nous dit Saint Paul, Il nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. » Tu es mon fils/ma fille bien-aimé, en toi je veux mettre toute ma joie. Je veux trouver toute ma joie. Mais pour que le Seigneur, le Père du Ciel, trouve toute sa joie en nous, il faut que notre cœur soit allégé, purifié, lavé lui aussi de tout ce qui nous défigure et qui n’est pas à l’image du Père des cieux.
Pour terminer, je veux souligner ce lien entre la prière et le don de l’Esprit, que souligne souvent Saint Luc dans son évangile. C’est le seul qui, dans cette scène du baptême, nous précise que Jésus était en prière après son baptême proprement dit. Et ce n’est pas étonnant.
La prière c’est, vous le savez bien, cette ouverture. Prier c’est ouvrir la porte de son cœur, l’entrouvrir ou l’ouvrir si possible davantage. Et alors Dieu répond, l’Esprit Saint répond. Eh bien, c’est ce qu’il se passe avec Jésus. Que demandait-il au Père, je ne sais, mais sans doute devait-il aussi demander cette force, cette plénitude de l’Esprit, d’être vraiment totalement sous sa conduite, et le Père répond et manifeste bien sûr, cette intimité parfaite, comme je l’ai dit, qui existe bien sûr toujours. Mais Jésus n’a cessé de se mettre à la disposition de l’Esprit Saint – autre définition de la prière. Prier c’est se mettre à la disposition de l’Esprit Saint. Et nous le voyons par exemple, encore une fois, lorsque Jésus est poussé par l’Esprit au désert, nous l’entendrons bientôt.
Oui, je veux souligner ce lien entre la prière et le don de l’Esprit, pour nous, parce que nous avons tellement besoin de l’Esprit Saint. Nous savons bien que sans lui, nous ne pouvons rien faire, nous touchons tellement du doigt nos limites, nos craintes, nos fragilités, nos incapacités, nos maladresses, que sais-je, seul l’Esprit Saint peut nous guider et nous fortifier pour être fidèle à notre mission baptismale. Et c’est le même Saint Luc qui justement nous dit : « Vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, alors combien plus le Père du Ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent. »
Et puis, je voudrais souligner enfin que ces trois accents, que j’ai essayé de souligner du baptême du Seigneur que note Saint Luc, la démarche pénitentielle de Jésus initiale, puis sa prière, et enfin le don de l’Esprit, eh bien, ces trois accents nous les retrouvons bien sûr dans la liturgie baptismale où il y a d’abord cette renonciation à Satan et au Mal et au péché, cette démarche pénitentielle, et puis, bien sûr, ensuite, cette prière de l’Église pour appeler justement cette nouvelle naissance, don de l’Esprit sur le futur baptisé.
Mais ces trois accents, nous les retrouvons aussi dans la liturgie eucharistique. C’est important peut-être de se le rappeler aujourd’hui. Nous avons cette préparation pénitentielle. C’est absolument vital de reconnaître d’abord, de nous reconnaître solidaire de ce monde de péchés, de nous reconnaître pécheur, de reconnaître que nous avons péché nous aussi, que nous avons besoin du Salut encore et encore et toujours. Car si nous ne nous reconnaissons pas vraiment pécheur, nous n’aurons pas non plus le désir d’un Sauveur et donc l’Eucharistie va servir à rien. Ça ne va pas nous transformer. L’Eucharistie nous transforme dans la mesure où nous sentons que nous avons besoin de Dieu, de son Salut, offert par toute la liturgie eucharistique d’ailleurs, par sa Parole et par son Corps.
Démarche pénitentielle inaugurale de la célébration eucharistique, mais ensuite, nous entrons, avec la liturgie eucharistique proprement dite, la prière eucharistique, la grande prière du Christ et de son Eglise, c’est cette prière d’intercession où justement nous appelons l’Esprit : « épiclèse », en termes savants.
Nous appelons l’Esprit d’abord sur les oblats, pour qu’ils soient transformés en Corps et Sang du Christ pour devenir notre nourriture, mais nous appelons avec toute l’Église, nous appelons l’Esprit, épiclèse, sur le peuple de Dieu, pour que grâce à cette participation active à l’Eucharistie, et en particulier à la communion sacramentelle, nous devenions encore plus le Corps du Christ. Donc démarche pénitentielle, prière, prière d’intercession pour appeler l’Esprit, et bien sûr, réponse du Père qui nous envoie son Esprit aussi par son Fils.
Alors, demandons la grâce aussi de toujours nous émerveiller de la grâce baptismale. On s’y habitue, hélas. Je crois qu’on s’y habitue trop, il faut sans cesse réactiver en nous cet émerveillement, d’être ce petit troupeau, j’allais dire, dans cette grande humanité qui ne connaît pas son Sauveur. Nous sommes des super privilégiés, nous chrétiens, d’avoir cette connaissance du Salut, non seulement connaissance mais réception du Salut qui nous est largement offert, sans cesse par l’Église, nous n’en profitons peut être pas assez.
Oui, la grâce de nous émerveiller de la grâce baptismale et du bonheur qui en est la conséquence de pouvoir appeler Dieu « Notre Père ». Ne nous habituons jamais non plus à cette grâce immense qui, quelque part, est le propre des chrétiens, même nos frères juifs, bien sûr, appellent Dieu « Père », dans un sens un petit peu général. Tu es notre Père. Père de ton peuple Israël.
Mais Jésus nous a révélé la profondeur de ce mot qui réside dans cette intimité, cette tendresse de pouvoir appeler Dieu, comme lui l’appelait, Abba – Père chéri – Papa. Eh bien, demandons la grâce de nous émerveiller de tout cela aujourd’hui en particulier. Amen.